Elena LASIDA Conférence de rentrée de l’ATPA 25 septembre 2015
« Oser un nouveau développement.
La conversion écologique »
Elena Lasida, économiste, professeur à l’Institut Catholique de Paris et chargée de mission à Justice et Paix, où elle suit ce qui touche à l’économie et au développement durable.
Elena Lasida traite cette question en faisant une présentation générale de l’encyclique du pape François « Laudato si ». Après une introduction sur l’originalité du ton de l’encyclique et de sa forme, elle nous en présente le contenu. Elle en dégage trois fondements, trois concepts et trois défis, se répondant les uns les autres.
Cette encyclique vient enrichir le débat actuel sur l’avenir de notre planète, débat au cœur de 2 grands événements de cette fin d’année : le sommet des Nations Unies sur le développement durable, et la COP 21 de décembre à Paris. Elle le fait avec un souffle indiscutable, en utilisant deux registres qui pourraient paraître contradictoires : d’une part une description dramatique voire tragique de la situation actuelle liée aux questions sociales et politiques ; d’autre part, une joie incroyable s’exprimant tout particulièrement dans cette louange à la création au début, au milieu et à la fin de l’encyclique. Tonalité à la fois dramatique et très joyeuse de ce texte.
Cette encyclique s’inscrit dans la continuité de la pensée sociale de l’Église, avec de nombreuses références aux encycliques précédentes : Rerum novarum, et les suivantes s’adressaient aux catholiques. Avec « Pacem in terris », se déploie une dimension universelle : L’Église se « fait » conversation pour dialoguer avec le monde, ce qui est de l’ordre de l’être et non pas de l’ordre de l’agir.
Laudato si s’adresse non seulement aux catholiques, mais à tout homme de bonne volonté. A travers la forme se dit quelque chose, comme un dialogue entre l’Église et le monde. Tout d’abord par le langage qui n’est pas un « jargon ecclésial » comme bien souvent, mais un langage compréhensible par tous. Ensuite dans le plan qui structure l’encyclique :
- 1er chapitre : ce qui se passe dans notre maison et dans le monde
- 2ème chapitre : l’Evangile de la création
- 3ème chapitre : La racine humaine de la crise écologique : on revient au monde pour voir comment l’homme a pris la nature en charge
- 4ème chapitre : une « écologie intégrale » : retour à la tradition chrétienne.
- 5ème chapitre : quelques lignes d’orientation et d’action : retour au monde
- 6ème chapitre : Éducation et spiritualité écologiques
Ainsi, même dans l’architecture de l’encyclique, ce dialogue entre l’Église et le monde est rendu par cet aller-retour.
Enfin, il est fait référence tout au long du texte aux écrits des conférences épiscopales de tous les continents. La pensée sociale de l’Église, n’est pas la pensée du Pape, mais celle de l’ensemble du collège épiscopal, c’est une pensée collective, qui se construit avec toute la communauté chrétienne.
Dans cette encyclique, le Pape François évoque de nombreuses thématiques différentes.
Elena les regroupe en trois points qui se répondent les uns les autres : trois fondements, trois
concepts et trois défis.
- Trois fondements
- a) Le premier est un leitmotiv qui revient en permanence : « Tout est lié ».
François veut parler de la fragilité de la terre aujourd’hui, mais on ne peut pas penser l’écologie indépendamment de la crise sociale. Pauvreté humaine et pauvreté de la nature ne peuvent pas être séparées. Dans les milieux catholiques, il y a parfois le sentiment d’une urgence première qui serait la pauvreté humaine : le Pape, lui, dit très clairement l’interdépendance entre la « clameur de la terre » et « la clameur des pauvres ».
L’environnement est une relation entre la nature et la société, la terre et ceux qui l’habitent. Ceci est aussi important que notre relation aux autres hommes et notre relation à Dieu.
- b) Deuxième fondement : « Tout est donné ».
Ce sentiment de don, de gratuité, traverse aussi toute l’encyclique. On s’est approprié la terre comme si elle était à nous et que nous pouvions en faire ce que nous voulions. Or un des principes majeurs de la doctrine sociale de l’Église est la destination universelle des biens : les biens de la terre appartiennent à tous car la terre nous a été donnée. Elle ne nous appartient pas, elle nous précède. L’Église reconnaît comme légitime le droit de propriété, mais il est second par rapport à la destination universelle des biens.
Cette expérience de gratuité nous met dans la joie et la louange devant les dons reçus sans les avoir mérités. Joie qui s’exprime en même temps que la gravité engendrée par les drames de la situation actuelle.
- c) Car « Tout est fragile » : fragilité de la terre et fragilité de l’humain. La fragilité de la nature est liée à la fragilité de l’homme. Les techno-sciences ont fait croire à la toute puissance de l’homme. Ce n’est pas possible. Nous devons prendre conscience de cette fragilité pour agir dans le monde autrement. La terre est « en douleur d’enfantement » : à la fois souffrance et naissance vers une vie nouvelle.
- Trois concepts
- a) L’écologie intégrale (« Tout est lié »).
Il y a un débat, notamment dans les milieux chrétiens, entre ceux qui parlent de l’écologie humaine – la nature est moins importante que l’humain – et ceux qui parlent surtout de l’écologie naturelle. Le pape François ne reprend pas ce débat, il le déplace : tout est lié ! Ce terme d’écologie intégrale résonne avec le terme de développement intégral, notion définie comme développement de tout l’homme et de tous les hommes. Toutes les dimensions de la vie humaine sont prises en compte : l’écologie concerne toutes les dimensions de la vie individuelle et collective. Au coeur de ce développement intégral, il y a la relation. La question relationnelle est présente en permanence dans l’encyclique.
- b) Le concept de création (« tout nous est donné »)
Le deuxième chapitre que François appelle « l’Évangile de la création » présente une théologie de la création en référence à l’Ancien et au Nouveau Testament. Dans le Premier récit de la création, on trouve ce commandement de « soumettre » la terre. Un rapport instrumental avec la terre ? Non, c’est une interprétation qu’on a enlevé de son contexte : il faut garder et soutenir la création. Il faudrait revisiter et reformuler la théologie de la création. Travail à faire avec les Orthodoxes et les Protestants : repenser la création avant tout comme don de Dieu à l’homme, création que l’homme est invité à poursuivre.
- c) La référence au dialogue. (associé à la fragilité)
Tous les points du chapitre 5 sur les actions commencent par une invitation au dialogue. Nous devons chercher ensemble car nous sommes fragiles : dialogue au niveau national et international, dialogue entre sciences et religions, dialogue interreligieux… Le pape va plus loin dans la prise en compte de la pauvreté. Celle-ci fait avancer le monde en terme de justice sociale, et même en terme d’écologie quant à l’usage des ressources naturelles. A partir de cette référence au dialogue, le pape demande à ce que les plus pauvres soient intégrés au processus de conception du monde à venir en donnant des exemples de la fécondité de cette démarche.
- Trois défis
- a) Construire la « maison commune ».
Dès le début de l’encyclique, le pape utilise un nouveau vocabulaire pour parler de la terre : la maison commune. Une autre manière de dire que tout est lié : la terre est un lieu à habiter et non pas un moyen de production, un lieu pour « être » et non pour « faire ».
Une terre à partager car elle est à tous. Ce qui entraîne une dette écologique des pays du Nord vis à vis du Sud ; dette vis à vis des générations futures ; dette des riches vis à vis des plus pauvres.
- b) Entrer dans une conversion écologique (6ème chapitre)
C’est une invitation à la fois individuelle et collective. Ce changement de nos comportements est une expérience spirituelle :
- reconnaître que la création nous a été donnée : invitation à la gratitude.
- Entrer en communion avec toutes les créatures, une communion universelle : entrer dans une alliance avec la création.
- invitation à la créativité et à l’enthousiasme pour retrouver une nouvelle relation avec la création. Espérance en une nouvelle création à faire advenir.
Nous nous trouvons devant le défi de penser le développement de manière nouvelle, en nous appuyant sur les expériences de la gratuité, de la relation et de l’espérance.
- c) Une révolution culturelle
Le Pape est très dur à l’égard des systèmes économiques et politiques actuels : attention à ne pas faire avec l’environnement comme on a fait lors de la crise financière, car les dispositions prises n’ont rien changé. Le pape nous invite à chercher une nouvelle définition du progrès : Tout dominer, maîtriser, contrôler ? Non. Il nous invite à chercher non pas du côté de la technique, mais du côté du bien commun, des relations entre les hommes.
Attention à ne pas se limiter à de petits ajustements. Il y a à changer les styles de vie, pas seulement l’organisation et le fonctionnement : quelles conversions devons-nous faire dans notre manière de vivre, de consommer, de nous déplacer, dans nos loisirs ?
Le pape nous fait repenser de façon nouvelle le développement. En fait, il nous propose une nouvelle façon de vivre ensemble, rien moins que l’avènement d’une nouvelle civilisation.